Nov 21, 2024

COP29 : la France en retrait à Bakou Lecture 6 min.Abonnés A la COP29 de Bakou, les Français renoncent au soft power climatique et se font rares. Beaucoup d’acteurs ont préféré éviter une COP « technique » et un contexte sécuritaire incertain. Sergei Grits/AP/SIPA Dans les allées de la COP29 en Azerbaïdjan, le Français le plus visible s’appelle Paul. Sandwichs , salades, et surtout cafés… La célèbre enseigne de boulangerie fait partie des commerces sélectionnés pour vendre des ravitaillements aux participants. Une curiosité alors que les Français ont plutôt boudé l’évènement cette année. En 2023 à Dubaï, une petite vingtaine d’entreprises avait formé une délégation économique autour du Président à la COP28. Des patrons de grands groupes : CMA-CGM, Veolia, Engie… Et de start-up : Sweep, Greenly ou encore Kayrros. Presque aucun n’est de retour cette année à la COP29. Cette fois à Bakou, nulle présence d’Emmanuel Macron, exit la délégation économique. La France n’a officiellement accrédité que deux sociétés : CSI et Kayrros. Antoine Halff, cofondateur de Kayrros , est un habitué des COP. Son entreprise est spécialisée dans la détection et l’analyse des pollutions, notamment les fuites de méthane, et témoigne de l’intérêt pour des entreprises d’être présentes. « Il y a tout un aspect transactionnel de la COP en marge des négociations. C’est un peu comme un grand salon du climat, comme les salons du vin, de l’agriculture, du livre… Les pavillons des pays hébergent des discussions sur les politiques climatiques ou les avancées technologiques et qui peuvent être animées par des acteurs non étatiques : académiques, philanthropiques ou du secteur privé ». Et l’entrepreneur de résumer : « toutes les parties prenantes du grand écosystème de l’action climatique sont là ». Il est d’ailleurs l’un des seuls à trouver un avantage à la disposition des lieux, dont les couloirs souterrains sont souvent bondés : « Cette COP est propice aux rencontres fortuites qui peuvent déboucher sur des rendez-vous fructueux ». TotalEnergies invité par l’Azerbaïdjan En dehors de ces entrepreneurs accrédités par la France, seulement trois entreprises françaises semblent avoir fait le déplacement : Bureau Veritas qui a attribué la certification ISO 45001 à l’organisation de la COP29 sur la santé et la sécurité des travailleurs, Schneider Electric et TotalEnergies. Les deux premiers n’ont pas répondu à nos sollicitations. Patrick Pouyanné, lui, est venu le temps d’une journée, à l’invitation de l’Azerbaïdjan, pour participer à plusieurs tables rondes sur le méthane. Le patron français en a profité pour rencontrer les dirigeants de Socar, la compagnie publique azerbaïdjanaise avec laquelle TotalEnergies est partenaire dans le champ gazier Abscheron , ainsi que le ministre azerbaïdjanais de l’Energie, président de la COP, mais il nie toute rencontre avec la présidence et toute influence sur les négociations. Pour d’autres secteurs économiques en revanche, la COP29 a suscité moins d’intérêt. Plusieurs évoquent une COP financière « technique », présentant moins d’enjeux pour elles, et se disent plutôt prêtes à venir à la prochaine, la COP30, qui se déroulera au Brésil, où les entreprises françaises sont aussi plus implantées. Pourtant aussi technique soit-elle, « cette COP est très importante, notamment pour les entreprises », souligne Andrew Prag de la coalition We Mean Business qui réunit les acteurs économiques progressistes et ambitieux. Le secteur privé est d’ailleurs de toutes les conversations à Bakou. La COP29 doit définir un nouvel objectif pour la finance climat mondiale, et les pays développés ne peuvent et ne veulent pas contribuer seuls, il faudra mobiliser les investissements privés pour répondre aux besoins des pays en développement. Craintes sécuritaires COP technique ou pas, la question sécuritaire a joué un rôle déterminant dans l’absence de sociétés françaises. Le Quai d’Orsay a passé en septembre son évaluation du pays hôte en « orange ». La France déconseille maintenant à ses ressortissants de se rendre à Bakou, sauf « raison impérative », à cause de « risques d’arrestation, de détention arbitraire et de jugement inéquitable en Azerbaïdjan ». De quoi inquiéter les acteurs qui auraient bien aimé faire le déplacement, mais qui n’ont pas été franchement rassuré par l’Etat. Selon une source diplomatique, « Le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères a été contacté par plusieurs entreprises et filières professionnelles, envisageant de se rendre en Azerbaïdjan pour la COP29. À leur demande et comme pour les ONG, les consignes de la Fiche « Conseil aux Voyageurs » leur ont été rappelées. L’appréciation de cette « raison impérative » revient à chaque entité envisageant un déplacement en Azerbaïdjan. » Et ce même avant l’incident diplomatique de la semaine dernière qui a fait bruisser la COP : les attaques verbales du président azerbaïdjanais contre la France ont finalement fait renoncer Agnès Pannier-Runacher à la COP , et entraîné la convocation de l’ambassadeur à Paris ce mardi 19 novembre. Résultat, de ce contexte géopolitique très tendu, la France se fait discrète : pas de pavillon, pas de chef d’Etat ni de ministres, une participation limitée aux side-events, moins d’observateurs d’ONG faute d’assurance compatible, peu de journalistes… Et une quarantaine de négociateurs enfermés dans leurs bureaux. Impossible pour la presse, arrivée dimanche, de rencontrer la délégation, quand les journalistes allemands ont, eux, des contacts quasi quotidiens avec les négociateurs germaniques, confie une consœur. « Il n’y a ni boycott ni politique de la chaise vide, martèle toutefois le cabinet d’ Agnès Pannier-Runacher . Nous sommes très actifs dans les négociations avec l’Union européenne. » La France et sa quarantaine de négiciateurs pilotés à distance par Agnès Pannier-Runacher se targuent aussi d’avoir été à l’origine de discussions sur le charbon ou les nouvelles taxes internationales. Quant à Kévin Magron, l’ambassadeur climat par intérim (aucun remplaçant n’a officiellement été nommé depuis le départ de Stéphane Crouzat en mars 2024), il aurait multiplié les rendez-vous bilatéraux ces derniers jours avec l’Italie, l’Allemagne, les Etats-Unis, la Chine, l’Afrique du Sud… Avant de prendre la parole devant les délégations ce mercredi 20 novembre pour dénoncer les blocages. Est-ce que ce sera suffisant pour permettre à la France de conserver son poids politique ? A Bakou, le Royaume-Uni de Keir Starmer semble mieux placé pour revendiquer une forme de leadership dans les négociations climatiques. Désigné co-facilitateur des négociations par l’Azerbaïdjan, le pays venu en force à la COP avec un pavillon flamboyant et une toute nouvelle feuille de route climatique largement saluée. Agathe Beaujon à Bakou